Actualités / Cultures - mercredi 08 janvier 2014

Quand on guinchait au bord de la Rize

DEBUT du XXe siècle.  Lyon est une ville de 500 000 habitants. Vaulx-en-Velin, un village d’à peine 1300 âmes. le dimanche, le tramway déverse son flot de canotiers et de dentelles au terminus de Cusset. Puis, la foule traverse le canal de Jonage par le pont de Cusset et longe les platanes de l’avenue de la Rize (aujourd’hui avenue Grandclément). Des aménagements à peine inaugurées. le restaurant du Transvaal, la maison David, le café alpin, la Maison carrée, la Cabane ou la Villa des Saules : en terre vaudaise, les lieux pour oublier la dure vie à l’usine ne manquent pas.

Jean Favier, le roi des guinguettes

“Où allons nous ? A Cusset, manger une friture de la Rize, au grand air, chez Favier. Huit jeux de boules, tonnelles, chambres, bière au litre et vin de Beaujolais, saucisson de ménage, balançoires, beaux ombrages et éclai- rage électrique”. Voici la légende qui accompagne les anciennes cartes postales de la Villa des Saules, plus connue sous le nom de guinguette Favier. Ces images, imprimées à grand tirage, servent à inonder la région de publicité pour une guin- guette dont le propriétaire est très attentif à sa promotion.

Né en 1865 à Lapalisse (Allier), Jean Favier est une icône vaudaise. Il sera même conseiller municipal à la fin de sa vie. au départ, la restauration est pour lui une activité de complément. la semaine, il travaille à la teinturerie Gillet de Villeurbanne. le dimanche, il troque sa blouse pour un grand tablier de cabaretier. Victime de son succès, son établissement devient trop étroit. Il l’abandonne en 1925 pour un nouveau, plus grand. Trois ans plus tard, Jean Favier décède, mais son établissement lui survit. les lyonnais en goguette continueront de le fréquenter des décennies durant.

Le champagne emporté par les flots

L’eau fait la fortune des guinguettes, mais parfois aussi leur infortune. Capricieux, le Rhône sort parfois de son lit, comme en 1910. les dégâts sont importants et la crue emporte des fûts entiers de vin blanc, de beaujolais, de rhum et d’absinthe, des dizaines de bouteilles de bordeaux, de champagne Moët et Chandon et de liqueurs fines, des centaines de kilos de salaison, des lapins, des poules, du linge de maison, des meubles, des tonnelles... Toutes les guinguettes sont touchées. Des milliers de francs sont perdus et une activité mise en péril. “En rentrant chez moi, j’ai trouvé mes caves complètement submergées sous 1m50 d’eau. Je n’ai absolument rien pu sauver”, écrit Jean Favier au maire, quelques jours après le drame. Rebelote en 1928. Il faut attendre la construction d’une nouvelle digue dans les années 1950 pour que le Pont des Planches soit sécurisé.

Les années yéyés, la fin des guinguettes

Durant l’entre-deux-guerres, le café Capra jouit lui aussi d’une certaine réputation. Juliette Akopoff, 91 ans, se souvient d’avoir guinché dans ce troquet à l’angle de l’avenue Grandclément et de la rue de l’Industrie : “Nous dansions juste devant le café, accompagné par deux musiciens”. Ces établissements ne résistent pas aux années yéyés. La guinguette Favier, fermée en 1966, devient le centre aéré Daniel-Féry. aujourd’hui, les boulistes du dimanche ont laissé place aux enfants. Mais sur la façade, le portrait de Jean Favier veille, avec en fond sonore, le P’tit bal perdu de Bourvil : “Je ne me souviens plus du nom du bal perdu, ce dont je me souviens, c’est qu’ils étaient heureux, et c’était bien...”.

 Maxence Knepper

Crédit photo © archives municipales

L’aménagement du parc de la Rize entend réinsuffler aux abords du cours d’eau l’esprit des petits bals d’autrefois. Car c’est là que des générations d’ouvriers se sont retrouvées pour profiter de l’air de la campagne et des guinguettes installées à l’ombre des platanes. 

 

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