Démocratie locale / Elections, mode d’emploi - mercredi 04 décembre 2013

Le malaise de l’abstention

CERTAINS sont de vrais abstentionnistes. Autrement dit, ils s’abstiennent systématiquement, parce que selon eux : “Ça ne sert à rien de voter”. Sur le fil de ce raisonnement un rien simpliste, on trouve, à côté de ceux qui considèrent que tout acte politique est dénué de sens, ceux qui sont convaincus que “le jour où plus personne n’ira voter, le grand soir sera proche”. Celui qui parle ainsi vient de la mouvance anarchiste. Mais la plupart des abstentionnistes sont surtout défaitistes par rapport au vote : “Tous pourris”, dit Raymond en parlant du personnel politique. “Ça ne sert à rien, c’est toujours la même chose, on revoit les mêmes têtes, élection après élection”, assure Jamila qui ferme son poste “chaque fois que ça parle politique”. Jamila, couturière, 35 ans, tout comme Josiane, 58 ans, intermittente du spectacle, n’ont jamais voté de leur vie : “Tant que le vote blanc ne sera pas pris en compte, je ne voterai pas”, affirment- t-elles.

Oui, mais alors, pourquoi ne pas aller voter blanc ?, leur demande-t-on. Là, le “blanc” s’installe dans la conversation car ceux et celles qui ne votent jamais ne s’inscrivent pas non plus sur les listes électorales : ils ne sont donc pas comptabilisés. Comme les don- nées électorales ne font pas apparaître les citoyens non-inscrits, les voix de ces ”sans voix” ne sont nulle part !

Dans ce paysage électoral de l’abstentionnisme, il ne faut pas oublier ceux qui ont autre chose à faire ce jour-là : de la pêche à la ligne à la sieste, le choix des activités dominicales est vaste. Parmi eux, un certain nombre de distraits : “Je n’y ai pas repensé et après c’était trop tard...”. On aura com- pris que la politique n’est pas leur tasse de thé, ou bien qu’elle les a définitivement dépassés, voire laminés : “A quoi ça sert de voter alors que j’ai pas de boulot ?”, interroge l’un d’eux.

Qui ne vote pas ?

Désenchantement et ressentiment : la plupart des électeurs potentiels oscillent entres ces deux pôles. “Une indifférence négative très forte”, soulignent Céline Braconnier et Jean-Yves Dormargen, sociologues(1) qui analysent l’abstention populaire non pas comme un vote protestataire qui conduirait aux extrêmes, mais comme une nouvelle norme : “Dans les quartiers, on n’attend quasiment plus rien de la politique (...). La norme, c’est de ne pas voter ou de ne pas s’inscrire”. Les dernières élections, depuis une quinzaine d’années, confirment le scepticisme ambiant : les chiffres de participation dans une ville comme Vaulx-en-Velin montrent qu’une majorité d’habitants, et notamment dans les quartiers les plus paupérisés, se détournent de toute action citoyenne, à commencer par la plus élémentaire, le vote. Qui ne vote pas ? Dans une grande majorité, ce sont les jeunes, de 18 à 35 ans, issus des classes populaires.

Même les élections présidentielles, qui restent pourtant celles qui mobilisent le plus les électeurs, affichent des taux record d’abstention à Vaulx et ailleurs : de 22 % en 2007 dans notre ville, le chiffre grimpe à plus de 30 % en 2012. Les élections européennes cumulent le handicap de l’éloigne- ment géographique et symbolique, au rejet exprimé à chaque scrutin.

Ainsi, l’abstention au Mas du Taureau lors des européennes de 2009 est montée jusqu’à 85,5 % (bureau Gagarine). Et les municipales ? La participation au dernier scrutin de 2008 fait apparaître des taux d’abstention qui varient de 50% au centre-ville à 65 % au Mas du Taureau, avec une moyenne à 56 % sur l’ensemble de la ville. Compte tenu du calcul du système électoral qui ne peut prendre en compte les non- inscrits, ces taux font frémir autant les citoyens qui s’expriment dans les urnes que leurs élus, de droite comme de gauche, dont la légitimité est fragilisée. Une modification de la loi électorale devrait toutefois intervenir après les prochaines municipales. Elle permettrait de reconnaître, au titre des suffra- ges exprimés, les enveloppes sans bulletin. Mais pas les bulletins nuls.

Françoise Kayser

(1) Céline Braconnier et Jean-Yves Dormargen sont l’auteur de “La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire”. Edtions Folio.

Depuis 2007, l’abstention progresse à chaque élection. Quand les chiffres grimpent en France, ils sont encore plus élevés dans les banlieues et atteignent des cotes vertigineuses dans les quartiers les plus populaires. 

4227 vues

Commentaires