Actualités / Société - mardi 04 mars 2014

1936 : la grève du textile se terminera-t-elle?

“DEPUIS plusieurs jours, le mécontentement grandissant dans tous les services faisait prévoir un mouvement général aux Textiles artificiels du Sud-Est”, annonce le journal radical Lyon républicain, le 1er avril 1936. Et ce n’est pas un poisson d’avril. “Salaires de famine”, “primes facultatives supprimées par le régime illégal des amendes appliquées généreusement”, “production individuelle accrue chaque jour”, “manque de mesures d’hygiène et de sécurité ”, “brimades” : pour les ouvrières et les ouvriers, rien ne va plus.

Bien décidés à ne plus accepter leurs conditions de travail, ils se mettent en grève en ce printemps et bloquent l’usine de fibres synthétiques. La municipalité et la préfecture tentent de servir d’intermédiaires mais rien n’y fait, les deux parties campent sur leurs positions. Du côté patronal, on observe un refus catégorique d’envisager une augmentation des salaires. Du côté des employés, il est impensable de reprendre le travail sans avoir obtenu satisfaction. De réunions syndicales en meetings (qui ont lieu au cinéma le Printania), le mouvement est reconduit. Au point que le Progrès s’inquiète : “A la grève de ses 1500 ouvrières et ouvriers, l’usine répondra-t-elle par le lock-out ?” (1). D’autant que leurs camarades de l’atelier d’Izieux dans la Loire, qui viennent d’entrer en lutte, subissent déjà un gel de leurs paies.

 

Des figurants, comme au théâtre

Les attaques fusent dans chaque camp, reprises dans les différents titres lyonnais qui en font leurs choux gras. Les employés en lutte agresseraient leurs collègues désirant reprendre le chemin de l’usine et provoqueraient les forces de l’ordre. Les patrons, eux, feindraient la fin du blocage. “La direction cherche par tous les moyens à impressionner les grévistes, écrit le Lyon républicain du 3 avril. Le soir, l’usine est éclairée de façon intense pour faire croire qu’on y travaille. On n’y voit pas des revenants mais une dizaine de figurants, comme au théâtre, passant et repassant devant les fenêtres pour faire croire que l’activité est toujours la même. Mais le truc est trop grossier pour qu’on s’y laisse prendre.” Le conflit s’enlise. Quand les autorités arrêtent des ouvriers récalcitrants, ils provoquent des manifestations monstres, comme le 22 avril où un millier de grévistes marchent sur Villeurbanne pour exiger la libération de deux des leurs. A sa sortie, l’un des “héros de cette aventure” résume : “Lorsqu’on se serre les coudes entre camarades de travail, la police elle-même doit parlementer”. “La solidarité ouvrière n’est pas un vain mot”, note le journaliste. Financièrement, tout cela est très lourd. Pour aider les grévistes, des distributions de nourriture sont organisées et le conseil municipal donne au maire Beausoleil le mandat de secourir les familles que le conflit “réduit à la détresse.”

 

La guerre de la Tase aura bien lieu

“L’atmosphère va-t-elle s’améliorer ?”, s’interroge certains rédacteurs au début du mois de mai. Pas si sûr. “Villeurbanne a été le théâtre de graves incidents”, apprend-t-on le 14 mai dans le Lyon républicain. Pour éviter que les non grévistes – surnommés les jaunes –, se rendent au travail, des femmes et des enfants se couchent sur la chaussée, devant leur autobus. Pour la direction, c’est “un attentat à la liberté de travailler”. La police intervient et une bagarre explose. “Je me suis battue avec des Russes blancs qui allaient travailler à l’usine. Ce jour-là, les jaunes ne sont pas rentrés !”, assure Marguerite Bozi, interrogés par Vaulx le journal en 2006. On déplore une demi-douzaine de blessés dans la police, quelques uns dans le bus et une trentaine chez les manifestants, dont Camille Joly, maire de Villeurbanne. Ce dernier raconte avoir vu des agents frapper des femmes. Lui, a reçu un coup sur la nuque. “Il y a eu un manque évident de sang-froid de la part des agents”, déclare l’élu à la presse qui, bien sûr, prend position. Quand “l’intervention de la police déclenche de violentes bagarres”, selon le Lyon républicain, proche du milieu ouvrier, le Nouvelliste, quotidien conservateur, titre “des grévistes provoquent une bagarre place Grandclément”. Le Progrès quant à lui, rappelle que deux versions des faits existent “comme il arrive toujours en pareille occurrence”.

 

Victoire !

Une semaine plus tard, l’euphorie envahit les cités Tase. “Après huit semaines de lutte, les grévistes de Vaulx-en-Velin remportent la victoire”. La direction a plié, les revendications sont acceptées : augmentation du salaire horaire de 0,15 à 0,85 francs et assurance de meilleurs conditions d’hygiène. Devant l’usine, on débouche les bouteilles. Un grand meeting est organisé à la Bourse du travail pour célébrer l’évènement. Pour le journaliste dépêché sur place, “ce mouvement n’a pas été autre chose qu’une révolte de la classe ouvrière contre l’exploitation dont elle était victime.” Un mouvement national est en marche et les évènements de Vaulx-en-Velin n’en sont que les prémices. A suivre.

 

Maxence Knepper

 

(1)Fermeture d’une entreprise décidée par la direction pour répondre à une menace de grève.

Toutes les copies des articles de presse sont conservées aux Archives municipales de Vaulx-en-Velin, Hôtel de ville, place de la Nation.

5619 vues

Commentaires

Vaulx-en-Velin > Journal > Actualités > Société > 1936 : la grève du textile se terminera-t-elle?