Actualités / Société - mardi 18 mars 2014

“L’usine de Vaulx-en-Velin doit vivre”

EN 1936 ET 1968, les ouvriers de la Tase, devenue Rhône-Poulenc Textile (RPT) en 1971, ont remporté des batailles syndicales. Pas la guerre. Au fil des ans, leur usine se spécialise en fils industriels, au détriment du textile. Des ateliers sont fermés, les effectifs diminuent. Des 2000 employés en 1950, il n’en reste que 1000 en 1975(1). Qui plus est, la fermeture des usines de Saint-Chamond et Givet ne présage rien de bon, même si de gros investissements sont effectués au cours des années 1970. En février 1975, le groupe Rhône-Poulenc arrête la fabrication de rayonne. Au rassemblement annuel des directeurs, 1000 employés envahissent le Palais des Congrès de Lyon pour une petite explication. “A la tribune, des délégués (CGT, CFDT) avec beaucoup de verve, instruisirent le procès de Rhône-Poulenc. […] La direction refuse d’investir deux milliards à Vaulxen-Velin alors qu’elle a investi le double dans la viscose suisse”, rappelle Libération, le 12 février 1975.

Les élus investissent la Tase 

“Nous n’avons pas la technologie pour affronter certains produits des concurrents étrangers mieux placés, nous avons peut-être voulu trop en faire en souhaitant couvrir toute la gamme de production, ce fut possible un temps, désormais il faut choisir”, assure Renaud Gillet, patron du groupe Rhône-Poulenc, au Progrès en décembre 1977. Quelques mois plus tôt, le même déclarait au journal Les Echos : “Le secteur à élaguer, c’est évidement le textile”. Un coup dur pour les unités de production vaudaises. “Nous leur avions pourtant prouvé que c’était un secteur viable”, considèrent les ouvriers qui reprennent leurs piquets de grève, bloquent le périphérique, investissent la gare de Perrache, l’aéroport de Bron, les studios de la chaîne télévisée FR3 et la Foire de Lyon, défilent dans les rues de Lyon, rendent visite au ministre de l’Industrie et maire de Saint-Etienne, Michel Durafour, et marchent jusqu’à l’usine Rhodia de Vaise. Certains iront jusqu’à bloquer le premier ministre Raymond Barre dans sa permanence lyonnaise. “Même le prêtre de la paroisse participait à nos actions en nous accompagnant aux manifs”, se rappelle Georges Sceut, un ancien de la CGT.

Pressentant le séisme social annoncé, les élus vaudais investissent la Tase, le temps d’une réunion. “Fait sans précèdent : un conseil municipal extraordinaire s’est tenu le 10 juin à l’intérieur même de l’usine, raconte le bulletin municipal de juin 1975(1). Son but, discuter directement avec les travailleurs d’une nouvelle étape de la lutte pour le maintien en pleine activité de l’usine. La direction avait signifié son opposition à la tenue de cette réunion, le maire Robert Many et les conseillers municipaux ont passé outre.” En vain. En 1978, l’annonce est faite de fermer totalement l’usine. Un an plus tard, un symbole tombe. “La cheminée située dans les anciens ateliers rayonne de Rhône-Poulenc textile a été abattue hier. Il a fallu une heure d’effort pour venir à bout de cette cigarette de soixante mètres de hauteur. Après avoir fait fumer l’usine pendant une vingtaine d’années, elle a été réduite en cendres”, déplore un autre bulletin de 1979(1) qui immortalise, en image, la chute vertigineuse. Les grilles se referment en 1980.

Un nouveau chapitre à écrire

“Plus de 5000 personnes vivent dans ce quartier rattaché administrativement à la mairie mais psychologiquement à l’usine”, souligne le comité d’établissement RPT de Vaulx. Pour eux, le quotidien est chamboulé. “Avant cela, la place Cavellini était bondée. Après la fermeture, elle n’a plus jamais retrouvé son dynamisme”, estime Daniel Fernandez, un ancien employé qui avoue toujours ressentir un pincement au coeur aux abords de l’usine. Néanmoins, les syndicalistes, avec à leur tête Pierrot Perrichon - “leur guide” - et surtout, avec comme mot d’ordre “avant tout, éviter les licenciements”, négocient le reclassement du personnel. “Après cinq ans de luttes intensives, nous ne pouvions pas crier victoire. Nous ne nous estimions pas battus pour autant, confesse Georges Sceut. Ces actions ont contraint nos patrons, soit à reclasser les gens dans des conditions presque normales, soit à faire suivre des formations professionnelles avec des avantages qui n‘existent plus de nos jours. Connaissons-nous aujourd’hui un seul patron qui accepte cela ?” Malgré l’installation d’entreprises dans les locaux et la persistance d’un petit atelier pendant quelques années, le quartier entre dans une longue léthargie, jusqu’à sa requalification à l’aube des années 2000. Depuis, le sud de la commune écrit un nouveau chapitre de son histoire : celui du Carré de Soie.

Maxence Knepper

(1)Tous les documents relatifs à la Tase sont conservés aux Archives municipales.

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