Actualités / Société - mardi 18 février 2014

Tase-en-Velin : naissance d’une ville industrielle

QUAND au crépuscule du XIXe siècle, Hilaire de Chardonnet parvient à produire de la soie artificielle, il n’a sûre- ment pas conscience que son innovation modifiera pour de bon l’économie régionale. Trente ans plus tard, en 1923, la famille Gillet, à la tête d’un énorme empire textile, achète 75 hectares de terre au sud du canal de Jonage pour édifier le fleuron de son empire : la Soie artificielle du Sud-Est (Sase). L’une des plus grandes usines spécialisées dans les fils synthétiques (elle deviendra en 1935 Textiles artificiels du Sud-Est ou Tase). Le choix est stratégique : l’immense terrain nu est à proximité de l’usine hydroélectrique de Cusset, du canal, du tramway et du chemin de fer. L’espace est aussi assez éloigné du centre de Lyon, une nécessité au vu des nuisances et de la pollution qu’elle engendre. Seulement, le site demeure à quelques encâblures du bourg de Vaulx. La mairie ne tarde pas à enregistrer des réclamations. “Je reçois souvent des plaintes relatives aux inconvénients de cette industrie, soit des salariés de l’entreprise soit même de mes administrés”, écrit le maire Paul Marcellin, inquiet, dans une lettre adressé en 1932 à l’académie de médecine(1).

La cité agricole devient bastion ouvrier

Malgré de rudes conditions de travail, des milliers d’ouvriers viennent poser leurs valises aux abords du site. Pour sa mise en service en 1925, ils sont près de 1000 derrière la chaîne, alors que la ville compte à peine 2000 habitants. Dès 1928, ce sont plus de 3000 employés qui s’activent jour et nuit à faire fonctionner les unités de production. “Je suis rentré à l’usine à 16 ans, j’y suis restée jusqu’à ma retraite, se remémore Claudine, plus de 70 plus tard(2). Je travaillais au dévidage. Notre travail, c’était de surveiller le fil qui se cassait facilement. Au début, on avait chacune six broches à surveiller, puis douze, et on a fini avec dix-huit. On ne pouvait pas ouvrir les fenêtres même quand il faisait très chaud parce que le courant d’air pouvait casser le fil.” La tâche était ardue, mais il y avait de l’ambiance. “Il ne faut pas croire que c’était triste, tient- elle à ajouter. On s’amusait comme on pouvait, on était jeunes. Quand c’était calme, on allait à deux ou trois aux toilettes et on dansait le charleston.”

De nombreux migrants en quête de travail arrivent à la Côte au terme de véritables périples pour certains. L’exil vécu par la majorité des familles contribue à faire naître une forte solidarité entre elles. Dès lors, Vaulx-en-Velin connaît le mélange culturel et cultive ce qui deviendra l’une des caractéristiques de cette commune : le vivre-ensemble. La petite cité agricole se transforme en un bastion prolétaire. Cet afflux d’ouvriers participe, en 1929, à la victoire aux municipales du Bloc ouvrier et paysan, porté par le Parti communiste.

“Serfs et seigneurs”

Très vite, l’usine transforme le quartier. La famille Gillet, en garant du paternalisme industriel, édifie aux alentours une micro-ville autonome où la plu- part des ouvriers s’installent. Les bâtiments de l’usine n’occupent en effet qu’une partie des 75 hectares achetés par Edmond Gillet. Dès 1924, le groupe fait construire les 76 pavillons de la petite cité face à l’entrée principale et trois villas pour les directeurs. En 1926, 20 immeubles collectifs com- prenant 500 logements complètent l’ensemble. On les appelle encore aujourd’hui les grandes cités. Quant aux jeunes travailleuses, elles sont hébergées dans un foyer tenu par des religieuses, l’hôtel Jeanne d’Arc. Wanda y a vécu durant quelques années. “Je suis partie de Pologne en mars 1929, juste avant mes 14 ans. Je suis restée au pensionnat quatre ans. Le dimanche, il y avait la messe à 7 heures, celles qui n’y allaient pas étaient punies. Les sœurs allaient chercher notre paye, toujours en argent liquide. Elles retenaient les frais de pension et nous donnaient le reste”, explique-t-elle(2).
La vie s’organise dans ce quartier où tout est à portée de main : commer- ces, centre médical, écoles, biblio- thèque, terrain de sport, jardins ou encore chapelle. La mesure vise à évi- ter l’absentéisme et assure un meilleur contrôle du personnel. “L’usine, c’était les seigneurs et nous, les serfs”, lance Janine, née dans les cités et dont les parents “tenaient la cantine”. Déjà, quelques années après la mise en service, commence à gronder la révolte ouvrière. En 1935, un an avant le Front populaire, a lieu la première grève de l’usine Tase.

A suivre.

Maxence Knepper

(1)Tous les documents relatifs à la Tase sont conservés aux Archives municipales.

(2)Témoignages tirés du recueil de Marie- Ghislaine Chassine, La toile rude de leur dignité, paru aux éditions La Passe du vent, en 2008.

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