Journal N°41 /
Sivar Rdzgar

Ce jeune musicien kurde irakien, victime de persécutions dans son pays et menacé d’expulsion ici en France, ne peut compter que sur les dix doigts de ses mains... pour faire vibrer les onze cordes de son oud.

“Quand j’étais en Irak, la France pour moi, c’était la lumière. Maintenant que je suis ici, je vois que la réalité est différente. Je ne comprends pas pourquoi on nous fait cela”, lâche Sivar, jeune musicien perdu dans la nature, sans papiers, exilé, traumatisé par une vie de persécution qui a pris effet dans son pays natal et tendrait à se poursuivre sur le sol français, où il a été débouté du droit d’asile : “A l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) on m’a questionné pour savoir si j’étais vraiment chrétien, sur la mort de mon père, la disparition de mon frère et chaque fois que je commençais à répondre, on m’interrompait pour me poser une autre question”. Ce jeune homme de vingt ans, sans l’aide du Réseau d’éducation sans frontières (RESF), Forum réfugiés, de militants humanistes de gauche, du Secours catholique, du conservatoire de Vaulx-en-Velin, serait déjà de retour dans son pays et son avenir serait bien compromis. “Qu’est ce que j’ai fait ? Est-ce ma faute si je suis né chrétien en Irak ?” s’exclame-t-il. Les raisons de son malheur ? Etre né en Irak en 1991, mais de parents kurdes et chrétiens. Et pourtant, affirme-t-il, “en Irak je n’étais même pas pratiquant”. Il l’a compris bien plus tard, sa mère par prudence, a tenu ses enfants à l’écart de la religion : “Nous étions les seuls chrétiens dans un quartier musulman. Mon père a été assassiné par les islamistes au pied de l’immeuble où nous habitions, devant tout le monde”. Un assassinat que sa mère lui avouera quelques années plus tard : “Je n’ai pas connu mon père, il est mort avant ma naissance. Ma mère ne m’avait pas expliqué les raisons de sa mort, je l’ai su bien plus tard”. Hussein, son père avait été coupable d’exprimer son désir de justice : “Il avait accroché sur le mur du salon un article où il avait écrit les mots liberté et égalité”. Sivar, devient musicien, crée sa propre musique et sans en avoir vraiment conscience, poursuit le combat de son père : “J’ai sorti un CD intitulé Musique et liberté”. C’est ce qui lui vaudra, à son tour, de susciter les foudres de ceux qui bafouent les droits élémentaires des individus. Sivar fuit, tandis que sa mère et sa sœur s’exilent en Syrie et que son frère disparaît, arrêté à sa place, par les extrémistes. Aujourd’hui, il est sans nouvelles de ce frère, les contacts avec sa mère sont difficiles : “Elle est malade d’avoir perdu son mari et ses fils, l’un disparu, l’autre exilé”. Sivar s’accroche à l’espoir de pouvoir composer sa musique librement. “A six ans, je voulais déjà être musicien. La musique, c’est comme un médicament pour moi. Je joue toute la journée, une partie de la nuit quand je ne suis pas en cours à l’école de musique”, confie-t-il. Il aura dû attendre trois années d’exil, avant de pouvoir retrouver un instrument et se remettre aussi au piano, grâce à la générosité de ses amis. Sivar maîtrise son instrument, la langue française, mais ne maîtrise pas son avenir, si fragile. Un retour dans son pays est exclu : c’est sa vie qui serait en péril. Lorsque Sivar prend son oud, la mélodie s’empare de vous et vous pince le cœur. Aujourd’hui il se bat pour ne jamais perdre sa liberté de jouer.

Jeanne Paillard