Actualités / Enfance / Jeunesse - mercredi 16 septembre 2015

Science Po : l’élite par le mérite

KEIVAN, Wael, Caroline, Ahmed et Sara ont moins de 30 ans et un CV long comme le bras. Comme une vingtaine d’autres lycéens de Vaulx-en-Velin, ils ont saisi l’opportunité d’intégrer le saint des saints, prouvant que le fossé qui sépare les banlieues des grandes écoles n’est pas infranchissable. Tous s’accordent sur une chose : leur passage rue Saint-Guillaume a bouleversé leur vie.

Un ascenseur social

“Il y a 20 ans, je gardais des chèvres et des dromadaires en Somalie, je ne savais ni lire ni écrire et me déplaçais au gré de l’eau et de la pluie ; aujourd’hui, je gère les intérêts des grosses fortunes dans une banque internationale de Genève”, explique Ahmed Osman Duran (promotion 2007). Arrivé à Vaulx en 2000, l’élève n’avait jamais imaginé intégrer l’Institut d’études politiques de Paris. “Mon rêve, c’était d’être ingénieur”, assure-t-il. Sa chance selon lui, c’est d’avoir raté son bac une première fois. “C’était l’époque où des émeutes ont éclaté dans les banlieues françaises. J’avais du mal à comprendre ce qui se passait et je me suis dit que Sciences Po était à même de m’aider.”

Ahmed garde un souvenir ébloui de son aventure parisienne, “à la fois douloureuse et intense”. En arrivant, il n’a pas réalisé tout de suite l’ampleur de la tâche à accomplir. “On prend conscience de ce qu’est Sciences Po une fois confronté aux nuits blanches passées à la bibliothèque”, estime le gestionnaire de fortune, louant tout de même la solidarité qui règne entre les étudiants venus de ZEP. Ce que son camarade Wael Abdel Hamid (promotion 2008) appelle le “réflexe identitaire qui consiste à se rapprocher de ceux qui vous ressemblent”.

Sciences po Zep, une imposture ?

Par le passé, l’opinion a parfois été dure avec ces étudiants qui n’étaient pas nés dans le sérail. Certains parlaient d’illégitimité et de nivellement par le bas. Des critiques qui n’ont pas l’air d’avoir particulièrement touché les principaux intéressés : “La meilleure manière de les faire taire, ça a été de prouver par nos résultats que nous n’avons rien à envier aux autres et que nous performons aussi bien qu’eux, si ce n’est mieux, en terme d’accès à l’emploi et de rémunération, considère Keivan Helmi (promotion 2008), aujourd’hui consul- tant en communication.

Cela nous a tout de même demandé davantage de travail. Au début, le décalage est flagrant entre les élèves venus de ZEP et les fils de bonnes familles. Dans ma classe, j’avais un descendant de général napoléonien. Forcément, en histoire, il avait une culture béton. Toi à côté, tu arrives avec un bagage qui n’est pas le même.” Et sa petite sœur Sara (promotion 2010), spécialisée en affaires urbaines et politique de la ville, d’insister : “Dans l’idéal, nous aurions tous préféré passer le concours comme les autres, mais c’est compliqué face aux bêtes de concours sorties de grosses prépas”.

De fait, les redoublements sont plus importants chez ces étudiants en première année, “celle où l’on refait le monde avant de le découvrir”, selon Ahmed Osman Duran.

Lors de leur cursus en effet, qu’ils viennent de ZEP ou non, les étudiants de Sciences Po sont amenés à partir à l’étranger. “J’ai eu la chance faire un atelier en Suède, un voyage d’étude à Istanbul, de travailler à l’OCDE (1), puis de décrocher un stage au Kenya pour l’ONU, suivi d’une embauche”, relate Caroline Guillet (promotion 2008), urbaniste de formation. Le virus de la bougeotte, chopé pen- dant ses études, l’a amenée au Cambodge où elle travaille pour une ONG venant en aide aux enfants défavorisés par le biais de l’art. “J’aime bien dire que je travaille dans une école de cirque et que franchement, Sciences Po mène à tout”, s’amuse-t-elle. D’autres sont partis en Turquie, en Australie ou aux Etats-Unis. A Washington d’ailleurs, un influent laboratoire d’idées prend chaque année depuis trois ans, des stagiaires venus de Vaulx-en-Velin. “Là-bas, le fait de venir de banlieue n’est pas un obstacle”, raconte Sara.

 L’antichambre du pouvoir

Sciences Po, “antichambre du pouvoir”, a vu passer nombreux hommes – et femmes – politiques qui ont marqué la Ve République. Etonnement, peu de Vaudais ayant arpenté les couloirs de l’école souhaitent tracer leur chemin dans le monde politique. Certains y pensent cependant, comme Wael. “Si j’ai d’abord choisi la voix de la communication, c’était pour la politique, confie l’ambitieux jeune homme de 24 ans. Non pas pour être dans la lumière, mais au contraire, pour devenir un homme de l’ombre.” Après un stage d’un an chez Bygmalion, l’une des plus grosses agences de communication poli- tique(2), il se dit “dégoûté pour le moment” par cet univers impitoyable et devient conseiller en management à Paris. Un milieu qui lui correspond davantage. Néanmoins, Wael aspire toujours à s’investir dans la vie publique, mais à un échelon local. “Ce qui m’intéresse avec la politique, c’est le concret, le fait d’avoir un impact sur le quotidien, surtout dans une ville qui m’a tant donné comme Vaulx-en-Velin”, note-t-il.

Lui qui partait pétri de préjugés négatifs et se disait réfractaire au changement, s’est découvert sur les bancs de Sciences Po, un goût pour la rencontre, une ouverture d’esprit et rêve désormais de conquérir un monde auquel s’interdisaient jusqu’à peu beaucoup de jeunes issus de milieu populaire, celui du pouvoir. Et c’est justement la force de la convention qui unie l’institution parisienne à l’établissement vaudais. “Ce partenariat, c’est le fer de lance de notre campagne de lutte contre l’autocensure et le manque d’ambition”, assure Bernard Rosier, proviseur du lycée de 2009 à 2015, heureux de voir certains de ces anciens protégés, réussir là où ils le souhaitent.

Maxence Knepper

(1) Organisation de coopération et de développement économiques (2) Entreprise ayant participée à l’organisation de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012, elle est au cœur de l’imbroglio judiciaire qui a déchiré l’UMP ces dernières années.

Les Cep, quésaco ?

Les Conventions éducation prioritaire (CEP), créées en 2001, sont une voie de recrutement sélective destinée aux élèves méritants, scolarisés dans l’un des lycées partenaires de Sciences Po situés en Reseau éducation prioritaire (REP). Lancées par le charismatique directeur de l’école parisienne Richard Descoings (1958 - 2012), les CEP sont une réponse au manque d’ouverture sociale et culturelle des grands établissements sélectifs français. Depuis 2001, 1300 élèves ont été admis à Sciences Po par cette procédure. Pour faciliter la poursuite d’études dans de bonnes conditions, Sciences Po exonère les élèves les plus modestes des droits de scolarité et complète leur bourse du Crous à hauteur de 75% du montant versé. Par exemple, un étudiant qui rentre en première année, boursier échelon 7, perçoit 5539 euros du Crous et 4154 euros de Sciences Po, soit 9693 euros à l’année. En 2014, l’établissement a fourni un effort de plus de 10 millions d’euros consacrés à l’aide sociale.

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