Archives / Journal N°37 - mardi 04 octobre 2011

Pauvres et migrants chassés de toute part

Roms : pas d’autre choix que de survivre en milieux hostiles

Devançant une expulsion imminente, plus de cent personnes roms ont quitté le site de Saint-Fons Saint- Gobain le mercredi 14 septembre. Pourchassés par la police, ils ont erré près de soixante-dix heures, quasiment sans boire ni manger, avant de pouvoir s’arrêter à Vaulx-en-Velin. Ils sont originaires de villages de la province de Bihor en Roumanie. Certains sont en France depuis plusieurs années et leurs enfants sont scolarisés dans différentes écoles de l’agglomération.

Des militants associatifs témoignent de la traque exercée à leur encontre à Décines, à Chassieu, à Villeurbanne : “Ça a été une véritable chasse à l’homme”, s’indigne Jean-Pierre Brunel, militant vaudais. “La journée du vendredi fut insupportable. Après les avoir chassés du lieu où ils se trouvaient, la police les suivait, en voiture et même à pied, pour les empêcher de se reposer et de se fixer”, décrit Jean-Philippe. Après ces heures d’errance et de traque, les familles étaient anéanties, regroupées sur un terrain vague à La Soie. Là, “c’est tout de même la police qui les a fait entrer dans un squat déjà occupé”, concède Gilberte Renard, de Classe. Les associations dénoncent ces expulsions à répétition sur des terrains privés sans que leurs propriétaires aient été consultés ou aient donné leur accord. En rappelant que cette méthode expéditive est contraire à la Constitution : “Cette disposition de la loi Besson a été censurée par le Conseil constitutionnel”, appuie Jean- Philippe.

Ici on démantèle les “camps”. En Roumanie – pays d’origine de la plu- part des Roms qui survivent dans l’agglomération lyonnaise – des maires ordonnent la démolition de leurs logements (Baia Mare septembre 2011). En Europe, les mesures de ségrégations contre les Tsiganes se multiplient et “partout elles tendent à expulser un corps étranger”, constatent Catherine Coquio, Jean-Luc Poueyto, Leonardo Piasere, organisateurs du colloque “Tsiganes, nomades : un malentendu européen”(1). Et d’alerter : “Il existe à présent à l’échelle européenne une question rom que les revendications identitaires transnationales, porteuses d’équivoques, rendent peut-être plus redoutable encore. Cette production politique d’indésirables au sein des Etats-nations n’est pas une exception. Mais elle se nourrit ici d’une construction d’altérité spécifique, mélange de mépris culturel, de peur sociale et de haine raciale qui renvoie à l’image que l’Europe a d’elle même, de son histoire, de sa vocation et de son destin”.

Pourquoi des centaines de Roms quittent la Roumanie ? Ils vivent très mal ici mais c’est pire chez eux. “En France on trouve plus de nourriture, des vêtements ...”, dit Cristina. Certains misent tout sur la scolarité de leurs enfants, seul espoir de les sortir de cette misère. En Roumanie, les Roms sont chassés des ghettos des centres-villes pour être parfois relogés en périphérie dans des bicoques sans eau courante, dans d’autres enclaves mais cette fois près des décharges, des déchetteries de produits chimiques, comme à Cluj-Napoca. Leurs conditions de vie sont déplorables, leurs droits bafoués malgré une politique qui, sous la pression de l’Europe et d’ONG tente d’améliorer leur sort. “L’argent de l’Europe est détourné par des hommes politiques corrompus qui se le mettent dans la poche”, dénonce Stefan, qui vient de Ucuris (Bihor). “L’ostracisme qui existe à l’égard des Roms en Roumanie est séculaire et profondément ancré dans la société, explique la géopoliticienne Morgane Garo auteure de “Roms, une nation en devenir ?”. Lorsque les Roms sont arrivés dans le pays, au 13e siècle, ils ont été réduits en esclavage. Aucun travail d’histoire ou de mémoire n’a été fait”. Plutôt pacifiques, peu revendicateurs et non organisés au-delà de la famille et du clan, ils ont été opprimés, esclaves jusqu’au 19e siècle, victimes de la politique d’extermination des nazis, sédentarisés de force sous Ceaucescu... Paria toujours ? Aujourd’hui, en France, ils sont de parfaits boucs émissaires et des proies faciles pour faire grossir le chiffre des expulsions.

En Europe des voix s’élèvent et crient avec force : “Dosta !”, “Assez !”

Fabienne Machurat

(1 )Le colloque “Tsiganes, nomades : un malen- tendu européen” se déroule à Paris du 6 au 9 octobre. www.tsiganes-nomades-un-malen- tendu-europeen.com

Contacts : Marie Higelin au 06 03 69 07 34 (collecte des couvertures, sacs de couchages, couches culottes et autres produits de première nécessité) ; Jean-Pierre Brunel au 06 72 17 25 11 ; Collectif lyonnais pour l’accès à la scolarisation et au soutien des enfants des squats : classes069@gmail.com.

Précarité : l’aide vitale menacée

“C’est honteux, révoltant”, s’insurge Monique Martin, bénévole au Secours populaire, à propos de cette mesure. En France, ce sont quatre millions de pauvres qui bénéficient du programme d’aide au plus démunis (PEAD), leur permettant juste de se nourrir. La diminution de 80 % du budget français aura des conséquences dramatiques, estime Christiane Cointy, présidente du Secours popu- laire de Vaulx-en-Velin : “Ça va être une catastrophe. Les gens vont souffrir car nous ne pourrons même plus distribuer les aliments de base”. A vingt ans, Gwenaëlle connaît déjà la misère. Son salut, elle le doit à l’aide qu’elle reçoit pour manger et s’inquiète pour son avenir et celui des personnes sans ressources, comme elle : “Ça me fait mal au cœur, sans ce minimum de soutien, je me demande ce que nous allons devenir. C’est déjà très difficile d’avoir le courage d’aller chercher de l’aide”. Ceux qui se résignent à le faire, comme cette jeune fille, sont nombreux sur le territoire vaudais. En 2011, deux cent quarante personnes ont déjà reçu une aide du Secours populaire. Aux Restos du cœur, durant la campagne d’hiver 2010, soit quatre mois, ce sont plus de quinze mille repas qui ont été distribués. “Il faudra trouver une solution car des pauvres, il y en a de plus en plus”, s’inquiète Odile Giordano, responsable des Restos à Vaulx, notant que “l’espoir repose mainte- nant sur la solidarité des commerçants que nous allons solliciter pour faire des dons”. Il faudra attendre la décision du Conseil des ministres européens de l’agriculture, en octobre, pour savoir si une solution sera envisagée pour compenser cette perte. Pour le président du Secours populaire français, Julien Lauprêtre, “pas question d’abandonner”. Son association, avec la Banque alimentaire, les Restos du cœur et la Croix rouge continuent de faire pression pour que cette aide ne cesse pas, sinon, “on assistera à un véritable tsunami alimenatire”.

J.P

Contacts : Secours populaire, comité de Vaulx-en-Velin, centre Lamaze, 15 rue Franklin. Tél. 04 72 04 33 45. Restos du cœur, 18 avenue Eugène-Hénaff. Tel. 09 66 01 54 39.

La paroisse de Vaulx-en-Velin : un des derniers refuges

De plus en plus de personnes vulnérables sont sans logement et parmi elles des migrants. Certains se refugient dans des squats, des abris de fortune, d’autres sont hébergés chez des tiers.

A Vaulx-en-Velin, le père Régis Charre accueille une trentaine de personnes, venues de Roumanie, du Kosovo, d’Algérie, du Congo... qu’il héberge à la cure et dans les locaux paroissiaux. Mais cet accueil d’urgence ne peut être que provisoire. Il ne peut palier l’incapacité des politiques publiques. Sur la commune, Emmanuela, Nacera et leurs familles, déboutées du droit d’asile ont rejoint la masse des laissés-pour-compte, ceux qui demande juste le respect de leur dignité et auxquels on répond “on ne peut rien faire pour vous, appelez le 115”. “On appelle tous les jours, dit Nacera. Mais il n’y a pas de place d’hébergement”. Pas de solution, malgré l’article L345-2-2 de la loi Boutin dite loi Molle (mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion) de mars 2009 : “Toute personne sans-abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès à tout moment à un dispositif d’hébergement d’urgence”. Pour les familles de Manuela et Nacera, “la seule porte qui se soit ouverte est celle de la cure”. Nacera est Algérienne, fille d’un journaliste et d’une enseignante, ingénieure hydraulique de formation et mère de deux enfants âgées de huit ans et six mois. Elle a travaillé douze ans comme principale adjointe d’un collège. Elle a quitté son pays en 2009 avec son mari et sa fille aînée : “Parce que ma fille et moi avons été menacées. Je ne suis pas musulmane et l’on me reprochait mon mode de vie, raconte-t-elle. Ici je croyais que j’allais trouver asile”. La réalité est toute autre. “Notre demande d’asile a été refusée en janvier 2010, le recours, rejeté en juillet 2011”. La détresse a remplacé l’espoir.

Emmanuela implore de son côté qu’on ne mette pas ses enfants dehors. Elle et son compagnon viennent du Kosovo. Pendant trois ans, ils ont été hébergés à Oullins par Forum réfugiés avant de se retrouver à la rue avec six enfants dont une petite fille d’un an et demi atteinte d’une maladie congénitale. Les enfants espèrent retourner à l’école et les parents cherchent désespérément une solution d’hébergement. Annie Dureux, bénévole de la paroisse, déplore le non engagement des institutions et escompte une réaction de la société civile : “La situation est telle que nous en appelons à la solidarité des citoyens”.

F.M

Paroisse catholique : 1 allée des Marronniers au Village. Tel:04 78 80 52 02.

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