Archives / Journal N°39 - lundi 31 octobre 2011

La spirale du crédit, juste pour assurer le quotidien

En vingt ans, le nombre de ménages basculant vers le surendettement a doublé : plus de 218 000 ont eu recours à une procédure de surendettement en 2010 quand, en 2009, 216 000 dossiers avaient été déposés. De nombreuses mesures ont été votées pour tenter d’endiguer le phénomène mais elles n’ont jamais réussi à stopper cette tendance. Facteur aggravant, le surendettement touche les franges les plus démunies et fragiles de la population tout en prenant de l’ampleur. L’année 2011 risque de devenir celle de tous les records : de janvier à août, la Banque de France compte 159 614 dossiers déposés. Soit une hausse de 8,1 % par rapport à la même période en 2010. Toutefois, il convient de rester prudent sur les chiffres car, pour l’année écoulée, plus de 24 000 dossiers ont été jugés irrecevables, laissant des ménages dans le plus grand désarroi.

Le Rhône, second département touché

Le phénomène touche le département de plein fouet. Après les Bouches-du-Rhône et spécifiquement la région marseillaise, le Rhône est le second département concerné par le surendettement des ménages. D’après la direction des services aux particuliers de la Banque de France, l’année dernière, 6150 dossiers ont été déposés. Soit une hausse de 30 % en deux ans. En 2008, on comptait 4500 dossiers sur le département et 5500 pour l’année 2009. Les zones les plus touchées sont la couronne de l’Est lyonnais et Villefranche. Il n’existe pas d’enquête typologique locale. A l’échelle de la commune, les chiffres ne sont pas disponibles. Toutefois, les personnes sont guidées par les Maisons du département (MDR) et le Centre communal d’action sociale (CCAS) de la Ville. 887 dossiers auraient été remplis par les travailleurs sociaux des MDR et 65 par le CCAS, soit 952 dossiers pour l’année 2010. Ce chiffre n’inclut pas les personnes qui seraient directement passées par la Banque de France. D’après certains travailleurs sociaux, le sujet était autrefois tabou et les familles n’osaient pas aller vers cette démarche. Avec l’accroissement des difficultés et de nombreuses situations précaires, certains viennent spontanément, ayant contracté des crédits à la consommation pour subvenir aux charges courantes. C’est ainsi que, les revenus des ménages étant insuffisants pour faire face au loyer (qui représente jusqu’à la moitié des revenus), aux charges de gaz, d’électricité, et même à l’achat de nourriture, les familles empruntent pour finir le mois. Un découvert devient un crédit à la consommation puis un crédit révolving à plus de 20 % d’intérêt et des échéances qui n’en finissent pas.

Une situation qui s’enlise

Du jamais vu depuis l’adoption de la loi Neiertz, du nom de la secrétaire d’Etat qui fit approuver le texte en 1989. Lequel a permis la mise en place de commissions départementales de surendettement des particuliers et dont le secrétariat est assuré par la Banque de France. Ces commissions sont chargées de trouver un accord entre les ménages endettés et les créanciers. Le Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) est mis en place mais recense uniquement les incidents de paiements et non l’ensemble des crédits en cours. Au fil des ans, la loi a changé au point de geler les remboursements dans les cas les plus extrêmes. En 2003, le texte évolue encore avec Jean-Louis Borloo, alors ministre délégué à la Ville. Il instaure la procédure de rétablissement personnel plus communément appelée “faillite civile”, qui permet l’effacement de la dette quand la situation financière des familles est “irrémédiablement compromise”. Autre avancée de la législation, l’adoption en 2010 de la loi Lagarde, du nom de l’ancienne ministre de l’Economie. Ce texte permet un meilleur encadrement des crédits à la consommation renouvelables, souvent considérés comme un facteur accélérateur du surendettement.

Mais la réponse de la loi est une réponse technique, elle ne s’attaque pas aux causes du surendettement. Lequel n’a cessé de croître régulièrement, sauf durant quelques périodes de relative embellie économique : au tout début des années 1990, en 2001 et de 2004 à 2008. S’il s’amplifie, le phénomène touche bien sûr davantage les publics pauvres. D’après l’enquête typologique de la Banque de France du mois d’avril 2011, l’année dernière, 54 % des ménages concernés avaient des revenus inférieurs ou égaux au Smic, contre 43 % en 2001. La part des ménages pouvant rembourser au moins 450 euros par mois ne cesse de diminuer : 15,9 % l’année dernière contre 24,2 % au début de la décade. En fait, la loi n’a jamais touché le fond du problème : huit millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France. Aujourd’hui, tout le monde est concerné : travailleurs que l’on dit pauvres, retraités, étudiants... “Les causes de cette évolution sont sans doute à rechercher dans le faible niveau des ressources, conjugué à une augmentation des charges”, commente même l’étude de la Banque de France.

Des crédits mais surtout des “accidents de la vie” Car près de vingt ans après la promulgation de la loi Neiertz, les problèmes ont évolué. Auparavant, le surendettement des ménages était souvent dû à des emprunts immobiliers. Aujourd’hui, les choses sont totalement différentes. Les personnes ont de plus en plus de mal à faire face aux dépenses courantes. Et ce, même sans avoir contracté un emprunt. “Le crédit est devenu un complément de revenus en raison de la précarisation de l’emploi et un palliatif aux carences de la protection sociale”, explique l’économiste Georges Gloukoviezoff, membre de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. C’est donc surtout le pouvoir d’achat qui s’est dégradé et certains empruntent même pour se soigner. Les dettes bancaires restent très élevées, en particulier les crédits renouvelables, les fameux “crédits revolving” dans 82 % des cas. L’essentiel de ces dossiers reçus à la Banque de France se font à la suite d’un “accident de la vie”, la perte d’un emploi par exemple ou une séparation.

Aux dépenses qui ont considérablement augmenté ces dernières années, comme le logement ou l’énergie, les Français ajoutent des dépenses nouvelles, liées à l’évolution de nos modes de vie. La téléphonie mobile et Internet n’existaient pas en 1989. Aujourd’hui, le recours aux technologies de l’information et de la communication est devenu un véritable besoin. Pourtant, contrairement à certains pays comme les Etats-Unis, les Français n’ont pas un recours systématique aux crédits à la consommation ou à des pratiques telles que les hypothèques.

Attention au chant des sirènes

Faciles d’accès et très souvent proposés par les banques et autres organismes de financements, les crédits à la consommation constituent un véritable fléau pour de nombreux ménages ayant une faible capacité d’épargne. Si les publicités promettent des choses simples et alléchantes, la réalité l’est beaucoup moins. Les taux d’intérêts annoncés sont d’environ 16% mais les apparences sont trompeuses. Le taux d’intérêt réel dépasse les 20%. D’ailleurs, la société de crédit Sofinco a été condamnée en 2007 pour publicité mensongère.

Une fois de plus, les banques sont au cœur de la tourmente. Sofinco, Cofinoga, Cetelem sont autant d’organismes de crédits directement affiliés aux principales banques françaises. Aucune mesure n’a été prise par le gouvernement Fillon pour réévaluer le pouvoir d’achat des Français. Pourtant ce thème a été le fer de lance de la campagne présidentielle en 2007. La loi sur le surendettement, votée en 1989 pour endiguer les excès dus aux “années fric”, se transforme aujourd’hui en ultime recours des ménages les plus démunis qui ont dû prendre des crédits pour faire face aux dépenses de la vie courante.

Une vie à crédit

“L’accumulation des crédits a tout fait basculer. Quand on ajoute à cela un divorce, ce n’est pas rose du tout”. A aujourd’hui 48 ans, Marie se remet peu à peu d’une situation difficile. Elle a connu des jours meilleurs. Mais après son mariage, elle a contracté de nombreux prêts. Peu d’économies et beaucoup de dépenses ont fait des crédits à la consommation une échappatoire. Avec son mari, alors gardien, et à peu près 1200 euros de revenus mensuels pour deux, l’équilibre était certes fragile. “Nous étions alors avec deux enfants, poursuit-elle. Nous avions contracté près de 20 000 euros de crédits. Notamment ces fameux crédits revolving. C’était pour la voiture puis après pour les factures ou combler un découvert. C’était très facile d’avoir une somme d’argent. Tout a basculé quand mon ex-mari a perdu son emploi. Puis nous nous sommes séparés. Le cas est classique”.

Les frais s’accumulent et elle n’a plus les moyens de faire face. Une première lettre de rappel, puis une autre relance et des factures qui s’entassent. Sans optique de trouver un emploi. La situation devient critique au bout de six mois. Les arriérés se transformant en menaces, Marie se décide à aller voir les assistantes sociales de la MDR et complète une déclaration personnelle de surendettement. Une légère bouffée d’air pour elle qui était plus préoccupée par sa situation personnelle que financière. “Avec mon divorce, il me restait 8000 euros de dettes. Avec deux enfants à charge et sans emploi, ce n’est pas évident, poursuit-elle. Une partie a été annulée et l’autre échelonnée. Mais au-delà, le plus ennuyeux ce n’est pas tant la situation mais le fait d’être bloquée. Pendant 5 ans, on n’a plus la possibilité d’avoir de chéquiers ou de posséder une carte bleue. J’ai dû changer de logement et sans chèque de caution, comment fait-on ? Mais aussi, le fait de voir ses comptes épluchés et d’entendre certaines remarques désobligeantes. Par rapport au bailleur, un arrangement a pu être trouvé”.

Gérer son quotidien au centime près et toujours faire attention. Marie commence à voir le bout du tunnel. Elle a récemment retrouvé un emploi à mi-temps comme secrétaire. Même si la reprise d’une activité l’enchante, elle reste sceptique. En effet, dans son portefeuille, elle possède toujours “trois cartes de fidélité de magasins qui font également office de cartes de crédit. Un véritable piège”, reconnaît-elle. Dans lequel il semble bien facile de tomber.

Le service de prévention des impayés, spécificité vaudaise

Le service prévention des impayés est une antenne au sein du CCAS montée en 2005. Elle agit auprès des publics peu connus des services sociaux. L’accumulation des retards de loyers fait partie des premières difficultés signalées. Les salariés sont essentiellement concernés : beaucoup de personnes seules avec des équilibres financiers fragiles. Effectuant pour la plupart des missions d’intérim ou enchaînant de petits contrats à durée déterminée rémunérés au Smic. On les appelle les travailleurs pauvres. Depuis trois ans, la part des retraités augmente considérablement. “Ça a été une volonté de travailler avec ces publics et ce, dès 2001, explique Laurence Bailly-Maître, adjointe au maire déléguée à l’Action sociale et vice-présidente du CCAS. Notre action s’inscrit dans l’accompagnement. Nationalement, il n’existe pas ou très peu de mesures en faveur des travailleurs pauvres. Il appartient au gouvernement de prendre conscience de cette réalité et d’agir en conséquence”.

Les personnes orientées le sont avec un système d’alerte, mis en place avec les bailleurs en cas d’impayés de loyer. Pour cette année 2011, 1342 alertes ont été envoyées en dix mois au CCAS. Les agents municipaux sont là pour essayer de remettre de l’ordre dans le budget de la famille et tentent de redonner confiance. Mais quand la situation devient ingérable et que les personnes ont contracté de nombreux crédits pour subvenir aux charges courantes, un dossier de surendettement est proposé en ultime recours. Rien n’est fait sans l’accord du surendetté. A partir de là, un accompagnement individualisé démarre et des rendez-vous sont pris une à deux fois par mois. Le travail s’axe essentiellement au niveau du budget. Notamment avec la vérification des abonnements de gaz ou d’électricité, trop souvent inadaptés aux besoins réels. Il en est de même avec les dépenses quotidiennes. La situation n’est pas forcément perçue comme un échec. De nouvelles perspectives sont ouvertes et permettent aux ménages de souffler avec le rééchelonnement voire l’annulation des dettes. La dette de loyer est un des principaux facteurs de surendettement à l’échelle locale. En 2005, à la création du service prévention des impayés, on comptait six dossiers déposés à la Banque de France. En 2010, leur nombre a fortement augmenté : 65 ont été enregistrés. Le quartier les plus touché sur la ville reste le Grand Mas avec une forte densité de population. Mais le service préfère rester dans des mesures préventives. La déclaration de surendettement est l’ultime recours.

L’Etat veut museler la Confédération nationale du logement

Les associations de consommateurs n’ont qu’à bien se tenir. C’est ce qu’a appris la Confédération nationale du logement (CNL) en se voyant refuser par l’Etat le renouvellement de l’agrément dont elle bénéficiait depuis 1980. “C’est un vrai choix politique, clair et net”, précise Joëlle Blanluet, présidente de la fédération du Rhône de la CNL. “On veut nous faire taire”, poursuivent Benito San Grigoli, président de la CNL à Vaulx et Gérard Morin. Et d’expliquer que, “sans agrément, la CNL ne pourra plus mener d’action en justice au profit des locataires et consommateurs”. C’est pourtant eux que la confédération défend : lutte pour le logement social, défense des locataires, animation des comités de locataires... Mais c’est aussi ce qui déplaît à l’Etat. Car l’association organise un véritable maillage dans les quartiers pour défendre les droits des habitants. “Cette situation est pour le moins incompréhensible, s’étonnait le maire, Bernard Genin, dans un courrier adressé fin juillet au ministre du Commerce et de la Consommation. La CNL aide au quotidien les familles vaudaises afin de résoudre leurs difficultés qui, hélas, ne vont pas en se réduisant”. Les membres de la CNL ne comptent pas baisser les bras : “Sans agrément, pas de subvention non plus. 270 000 euros au niveau national, 4300 euros pour le Rhône... Mais on ne cessera pas nos actions”. Et la confédération de compter sur ses adhérents (69 000 au niveau national, 300 à Vaulx avec 25 comités de locataires) pour se mobiliser et sur les autres associations de consommateurs, dont certaines sont déjà dans le collimateur, comme le magazine 60 millions de consommateurs, que le gouvernement veut privatiser.

Que faire en cas de surendettement ? 

Un dossier est déposé auprès de la commission de surendettement

Le formulaire est disponible sur le site de la Banque de France. Il doit être rempli avec toutes les pièces demandées et il est possible de se faire aider par des agents du CCAS et des MDR. Dès le dépôt du formulaire, la personne est inscrite au Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP).

La commission analyse la situation

Si elle estime que la personne est de “bonne foi” et dans l’incapacité de régler ses dettes, la commission déclare alors le dossier recevable. Les créanciers et les banques en sont informés. Puis, jusqu’à la fin de la procédure et dans la limite d’un an, la personne ne devra plus :

- Rembourser les crédits et les découverts.

- Régler les dettes en retard (factures, arriérés de loyers, impôts etc.).

- Les saisies en cours seront suspendues. Toutefois, les factures en cours et des mois à venir restent à régler. Il en est de même pour les pensions alimentaires et les amendes. La commission se réunit une fois par semaine à la Banque de France. Elle est présidée par le préfet et le directeur départemental des Finances publiques. Siègent aussi, un représentant des établissements de crédit, un représentant des associations de consommateurs mais également un juriste et une personne avec des compétences en économie familiale et solidaire. Une centaine de dossiers “recevables” sont étudiés.

Solutions et perspectives 

Dès que le dossier est déclaré “recevable”, la commission élabore un échéancier pour le remboursement des dettes : c’est le plan conventionnel de redressement. Une fois le plan engagé, la personne est tenue de respecter toutes les mesures. Elle est également enregistrée auprès du FICP pendant la durée du plan et dans la limite maximale de 8 ans. En cas d’échec de la négociation, la commission imposera des mesures avec l’accord du juge. Si la situation est “irrémédiablement compromise”, la commission peut proposer au juge la procédure de rétablissement personnel. Dans ce cas, certaines dettes sont effacées mais le patrimoine est saisi et mis en vente (bien immobilier, véhicule et même l’épargne !). Resteront les dettes alimentaires. La personne est inscrite au FICP pour une durée de 5 années.

En aucun cas, la commission ne peut prêter d’argent ni régler les dettes.

Pratique

Les formalités peuvent être compliquées à remplir et les travailleurs sociaux peuvent accompagner les familles et les personnes en difficulté. Une fois constitué, le dossier est déposé et examiné par la commission de surendettement des particuliers à la Banque de France.

Centre communal d’action sociale (CCAS) : Hôtel de Ville, place de la Nation. Tél : 04 72 04 80 04.

Maison du Rhône du canton de Vaulx-en-Velin : 23 rue Condorcet. Tél : 04 78 79 52 40.

Maison du Rhône Tase : 4, rue Jospeh-Blein. Tél : 04 78 26 26 08.

Maison Rhône Lamaze : 25, rue Franklin. Tél : 04 78 80 75 13.

Maison du Rhône Jean-Jaurès : 2, rue Georges-Chevalier. Tél : 04 37 42 01 12.

CNL : 19, chemin de la Ferme. Tél : 04 78 79 10 28. La CNL tient aussi une permanence consommation les vendredis de 14h à 16h, à l’espace Frachon, 3 avenue Maurice-Thorez.

Banque de France, succursale de Lyon : 14, rue de la République. 69268 Lyon cedex 02. Tél : 04 72 41 25 25 Pour toute information pratique et générale sur le sujet, un numéro spécial est mis en place : 0 811 901 801 (prix d’un appel local à partir d’un poste fixe en France métropolitaine), du lundi au vendredi de 8 heures à 18 heures.

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