Archives / Journal N°41 - mardi 06 décembre 2011

Culture : décrypter pour incarner et jouer juste

“Allons, Flipote, Allons ; que d’eux je me délivre.” Mercredi 18 janvier, Laurent Vercelletto foule enfin en Madame Pernelle la scène du centre culturel Charlie-Chaplin. Première réplique sur plus de deux mille. La gestuelle et l’intonation, précises, justes, ont été affinées au cours d’un mois et demi de répétitions quotidiennes.

“Ensemble vous vivrez, dans vos ardeurs fidèles”. Lundi 21 novembre, première répétition, Philippe Vincenot prête sa voix à Orgon qui, aveuglé par sa dévotion pour Tartuffe, explique à sa fille Marianne pourquoi il a décidé d’unir leurs destins. Après cette “lecture à la table”, neuf suivront, dans une salle du cinéma Les Amphis. Tels les peintres, pinceau délicatement glissé entre le pouce et l’index, les comédiens, nourris des indications de Laurent Vercelletto, ébauchent leur personnage à petites touches. “Avant de jouer réellement avec les corps, nous commençons par décrypter le texte”, détaille le metteur en scène. C’est-à-dire le lire et le relire pour incarner au plus juste les personnages créés par Molière sans trahir son propos. “Tiens, essaie comme cela”, lance Laurent. “Pas mal : on gagne en intensité dans le rapport, sans forcer la puissance vocale”. Orgon vient de se faire menaçant. Et Alexia Chandon-Piazza, qui incarne Marianne, cible de l’oukase d’Orgon, son père, tremble déjà. Travail titanesque que de creuser, mettre et remettre chaque vers sur le métier et les rendre cohérents au fil des scènes et des actes. C’est une pièce à monter, et pas des pieds à empiler. Mais à soigneusement articuler. Laurent Vercelletto complète : “Quand on prononce clairement le texte, en suivant le rythme de la ponctuation, leur sens jaillit”. Mais face à cette accumulation vertigineuse de sens, semblant sans fin possible, n’y a–t-il pas le risque de ne jamais s’arrêter, et de ne se fixer sur aucune interprétation ? “Au fil du travail, on synthétise, on abandonne des choses, rassure le metteur en scène. Il est possible que l’on abandonne ce que l’on a construit aujourd’hui”. Nous voilà bien.

Pourtant l’on est captivé, happé par ce qui nous est donné à partager. Privilégiés invités dans l’atelier du peintre, où Tartuffe 2012 s’élabore. Moment magique où le choix de mise en scène tient de l’évidence, s’impose à tous. “J’ai déjà quelques moments clés en tête, ainsi que le déroulé des scènes. L’acte 1 sera normalement joué devant le décor et le 5e acte pourrait se terminer à la lumière d’un chandelier juif”, projette-t-il. On retrouve ici le ciment de son interprétation du texte de Molière : la religion. “Je sais aussi quelles musiques je vais pouvoir utiliser”, ajoute-t-il. Sans oublier que les costumes commencent à arriver, la séance du jour se terminera d’ailleurs par un essayage.

Revenons à ce décodage, pour pénétrer dans l’âme du texte. A Marianne : “Ici c’est un aveu. Elle avoue que toute son enfance elle n’a rien osé dire à son père. C’est ça qui doit te guider”. Et le metteur en scène, tombant d’accord avec les autres comédiens sur une intention d’Orgon lance : “Vois ce que tu peux faire de ça Philippe, on décrypte”. On décrypte, répété comme une antienne par Laurent Vercelletto. Et l’on imagine déjà Philippe Vincenot, repartant de Vaulx, son cahier de texte délicatement glissé dans son cartable, contre les feuillets de Tartuffe griffonnés des indications du jour, avec soigneusement calligraphié cette simple phrase : “En faire quelque chose...”.

Stéphane Legras

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